Hommage au docteur Michel Lemay

Par Christiane Besson

Le jeudi 16 juin 2022, Michel Lemay s’en est allé. Il avait 91 ans.

Le premier choc passé, les souvenirs surgissent et c’est maintenant le temps d’exprimer ma reconnaissance.

Ma première rencontre avec le Dr Michel Lemay, « en chair et en os », date de l’anniversaire, en 1992, des vingt ans de l’école d’éducateurs spécialisés de Givisiez près Fribourg (EESF), devenue aujourd’hui la Haute école fribourgeoise santé, social (HETS FR, à Fribourg même). J’avais utilisé déjà, à maintes reprises, des extraits de J’ai mal à ma mère, un parmi ses beaux ouvrages, riche en éclaircissements à propos de la psychopathologie, si importants dans notre domaine pour avancer prudemment dans les relations professionnelles.

Sur le chemin qui nous conduisait au lieu de repas, après une conférence remarquable de Michel Lemay, j’ai osé eu l’audace de lui demander s’il accepterait d’intervenir à Améthyste (le centre de formation continue pour travailleurs sociaux que je venais de fonder en 1989). Déjà sa simplicité était présente dans sa réponse affirmative.

Une première session de deux jours eut lieu l’année suivante, en juin 1993, sur le thème : « Compréhension de l’être humain, tableau des théories de référence dans les sciences humaines et l’éducation spécialisée : quelle compréhension ? quelles réponses ? ». Ces journées réunirent une huitantaine de professionnels avides de clarifications et de questionnements. Depuis lors, pratiquement chaque année, des cours de Michel furent inscrits au programme d’Améthyste, souvent en coanimation, pour certains thèmes, avec Édith son épouse. Je pense en particulier à une formation consacrée aux « jeux symboliques ». Édith m’impressionnait par l’ampleur de sa culture historique (elle avait fait des études d’histoire), par ses connaissances psychologiques, en particulier de la dynamique des groupes et par son expérience de vie. Le travail en duo des Lemay était un modèle du genre.

Après le décès de son épouse, Michel a continué de nous faire le cadeau d’intervenir à Améthyste, en rayonnant aussi dans diverses institutions de Suisse romande souhaitant des formations internes. Il nous rejoignait pratiquement chaque année, jusqu’au moment où le Covid interrompit ses voyages… mais à la fin de l’an passé nous formions encore de nouveaux projets.

La clarté de sa pensée, sa capacité éblouissante de synthétiser des connaissances médicales et psychologiques académiques, de mettre à la portée de chacun des concepts compliqués et de les rendre pratiques, son expérience personnelle du travail quotidien de l’éducateur, sa manière d’aller toujours à l’essentiel et aux fondements-même de ce travail d’accompagnement au jour le jour, autant de richesses dont Michel nous comblait. Ceux qui ont eu le privilège de vivre avec lui ces moments extraordinaires en ressortaient à la fois impressionnés, souvent émus et toujours enrichis par la profondeur et la rigueur de sa pensée. Il émaillait ses formations d’exemples tirés de son expérience et de ses recherches, sans renoncer à la simplicité la plus touchante. Combien de fois ne l’ai-je pas vu se mettre à quatre pattes pour illustrer ses dire à propos de sa pratique auprès des enfants dont il s’occupait à Sainte-Justine. Quelles que soient leurs préoccupations, il pouvait se montrer très proche d’auditeurs aussi différents que des professionnels issus des champs les plus divers, et des parents aussi.

Quel privilège pour nous d’avoir reçu Edith et Michel à notre domicile, partageant avec eux des moments de discussion, d’humour léger ou de francs rires, d’avoir cherché ensemble de nouveaux thèmes pour d’autres journées de formation, et pour moi encore d’avoir pu les organiser et les suivre, en général aussi avec mon époux François.

Beaux souvenirs de balades, en particulier à Romainmôtier, dans les ruines romaines d’Avenches, sur les hauteurs de Vevey, au Mont Cubly, au musée du Pays d’En-Haut avec ses découpages fascinants, en particulier ceux réalisés par des personnes déficientes intellectuelles lors d’une exposition qui leur était consacrée. Et Michel qui pouvait dire malicieusement, lorsque le temps était à la brume : « je crois bien qu’il n’y a pas de montagnes en Suisse, je me demande qui a inventé cette fable».

Il savait encore nous rapporter certains propos savoureux recueillis auprès de ses petits-enfants, en particulier sa petite fille lorsqu’elle le priait de ne pas confondre les « fleurs pour de vrai » ave celles de sa robe : « Papi, si tu commences à confondre le réel avec le “comme si”, on est bientôt tout perdus… »

A chacune de ses venues, il nous offrait un roman qui l’avait fasciné. C’était un exemple de sa discipline personnelle de vie : chaque jour une heure de lecture scientifique, et une heure de roman ou de culture générale.

Je pourrais encore retourner aux thèmes qu’il a bien voulus traiter durant ces années. J’ai gardé en mémoire sa présence à chaque anniversaire Améthyste, notamment le plus marquant, celui des dix ans, fêté à Rovéréaz dans les murs de la Fondation Eben-Hézer en dialogue avec Boris Cyrulnik. Et tout récemment encore ses encouragements, et son « Avant-propos » pour un ouvrage rédigé par Véronique, Christiane et François Besson, Management, éducation, formation. recueil de pratiques non conformistes, une expérience de sept décennies avec des personnes souffrant de handicaps, à paraître début 2023.

Michel nous a quittés. Nous n’aurons plus la joie de le rencontrer en personne. Mais nous avons la chance de pouvoir le retrouver dans ses nombreux ouvrages. Nous continuerons d’en profiter et garderons sa mémoire.

Le 4 juillet 2022,

Christiane Besson, fondatrice et responsable d’Améthyste, centre de formation continue pour travailleurs sociaux.